Le bisse suspendu d’Ausserberg

La partie centrale du Valais, entre Martigny et Brigue, jouit d’un microclimat continental très marqué, caractérisé par un très fort ensoleillement et des précipitations annuelles très faibles, parfois inférieures à celles du sud Sahel. Le climat y est donc très sec, voire aride à certains endroits particulièrement exposés et ensoleillés, étant donné les barrières montagneuses qui bloquent les précipitations. Cette aridité est encore renforcée par le foehn qui dessèche l’atmosphère et par les phases de canicule qui sont monnaies courantes.

Les communautés villageoises installées sur la rive droite de la vallée du Rhône, exposée face au sud, n’ont pu survivre au fil des siècles qu’en pratiquant l’irrigation systématique des cultures et des prairies de fauchage, grâce à la construction de bisses qui acheminent l’eau des glaciers et des torrents sur des kilomètres à travers la montagne, jusqu’aux villages.

Etant donné la nature calcaire de la majeure partie des Alpes bernoises, caractérisées par de grandes faces rocheuses, certains de ces bisses doivent franchir de vertigineuses parois pour acheminer la précieuse eau depuis les glaciers jusqu’au côteau brûlé par le soleil.

Le passage de ces parois rocheuses a nécessité de suspendre les bisses dans le vide, le canal en planche de bois étant supporté par des boutsets, simples madriers de bois dont l’extrémité est fichée dans des trous creusés à même la face de la falaise.

A Ausserberg, dans le Haut-Valais, certains tronçons étaient même simplement suspendus par d’épais cordages de chanvre accrochés à la paroi, qu’il fallait contrôler et renouveler régulièrement pour assurer la pérennité du canal d’irrigation et l’arrosage des cultures, sous peine de mourir de faim. On les utilisait aussi, durant les travaux d’entretien du bisse, pour suspendre les étroites planches sur lesquelles les consorts du bisse s’avançaient en équilibre.

Le changement de ces lourds cordages était vital pour la survie de la communauté, mais nécessitait de s’aventurer dans le vide, en équilibre précaire au-dessus du gouffre, cramponné à la paroi sur de mauvaises chaussures cloutées. Il ne fallait pas avoir froid aux yeux pour travailler ainsi au-dessus du vide, sans aucun assurage de sécurité.

Au fil des siècles, nombreux furent ceux qui le payèrent d’ailleurs de leur vie et qui dérochèrent pour aller s’écraser sur les rochers, plusieurs dizaines ou centaines de mètres en contrebas…

A Ausserberg, on appelait ces cordages Chänilseile, « les cordages du chenal ». Les hommes du village les préparaient soigneusement et prenaient soin de les enrouler méticuleusement pour les transporter… Leur vie en dépendait!